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Rangaku
20 décembre 2021

On a d’autre part fait remarquer que le Kaitai

On a d’autre part fait remarquer que le Kaitai shinsho『解體新書』pouvait livrer quelques indices supplémentaires. Traduit de la version hollandaise (publiée en 1734) intitulée Ontleedkundige Tafelen, du chirurgien de Leyde Gerardus DICTEN, d’après l’ouvrage initial en allemand Anatomische Tabellen (publié à Gdansk en 1722, seconde édition en 1732) de Johann Adam KULMUS, le Kaitai shinsho (Nouveau traité d’anatomie) a été illustré par ODANO Naotake小田野直武, peintre de style occidental du domaine d’Akita 秋田藩 Akita-han. Or, si NAOTAKE a fidèlement reproduit les dessins anatomiques originaux du peintre liégeois (dessinateur, gaveur et théoricien de l’art néerlandais) Gérard de LAIRESSE, le frontiscipe de la traduction japonaise est sans rapport avec celui qui illustre l’ouvrage de KULMUS. 

En effet et curieusement, il présente une composition identique au frontiscipe de (Dominvs Mihi Advitor) Anatomie, oft Levende beelden van de deelen des menschelicken lichaems : Met de Verclaringhe van dien, in de Neder-duytsche SpraeckeT’Antwerpen (Labore, et Constantia) By Christoffer Plantijn M. D. LXVIII, version néerlandaise (publiée en 1568 à Anvers - plusieurs traducteurs dont Martin EVERAERT) de l’original espagnol Historia de la composición del cuerpo humano (publié en 1556 à Rome) par le médecin anatomiste Juan de VALVERDE de (H)AMUSCO, élève de l’anatomiste et médecin brabançon André VÉSALE. La phrase Labore, et Constantia (Diligence et persévérance) que l’on lit sous le titre était la devise latine de la maison d’édition de Christophe PLANTIN.

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La raison de cet emprunt demeure inexpliquée et l’on ignore comment Naotake s’est procuré l’ouvrage de VALVERDE : par la famille INAMI 稲見, qui en possédait un exemplaire (on pense à Takehide 武英, médecin du domaine d’Akita 秋田藩 Akita-han), ou par HIRAGA Gen’nai 平賀源内 (médecin, pharmacologue, peintre et inventeur qui avait présenté Naotake à SUGITA genpaku) ? De composition similaire, les deux frontiscipes accusent néanmoins des différences qui ne sont sans doute pas fortuites et qui ont donné lieu à bien des interprétations. 

Mandaté par l’éditeur PLANTIN (PLANTIJN), le peintre et architecte flamand Lambert Van NOORT a réalisé l’esquisse préliminaire du frontiscipe en 1566, laquelle fut gravée la même année sur plaque de cuivre par l’artiste anversois Pieter HUYS - aidé de son frère Fans ? - (édition latine publiée en 1566 - édition néerlandaise en 1568). Le frontiscipe représente Adam et Ève, nus, se faisant face de part et d’autre d’un portique dont les colonnes corinthiennes encadrent le titre : Anatomie, oft Levende [... ]. Le portique est surmonté des armoiries du roi d’Espagne Philippe II (qu’entoure le collier de la Toison d’or) et la frise porte l’inscription latine DOMINVS MIHI ADVITOR (« Le Seigneur est mon aide »), devise que l’on retrouve au revers des monnaies de l’époque de Philippe II (entre 1555 et 1598).

Armoiries du royaume espagnol sous Philippe II

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Le bas du piédestal de gauche, où se tient Adam, est occupé par un blason gravé de l’aigle bicéphale (blason des Habsbourg) au-dessus d’un château à trois tours (blason de la ville d’Anvers, alors possession des Habsbourg) et au bas du piédestal où se tient Ève, à droite, à nouveau le blason de la ville d’Anvers (le château à trois tours). Au milieu, sous le titre, entre les deux piédestaux, figure le dessin d’une tête de déesse que surmonte un compas, référence à De Gulden Passer (« Au Compas d’Or »), nom de l’imprimerie du relieur et éditeur Christophe PLANTIN (dont le nom est inscrit également au-dessous) et tout en bas le frontiscipe se termine par le motif d’un crâne autour duquel s’enroule un serpent (symbole du cycle de la mort et de la renaissance ?).

Sur son frontiscipe, en haut du portique, Naotake a remplacé l’inscription latine DOMINVS MIHI ADVITOR par la mention : Traduit du hollandais「和東飜譯」Watô hon’yaku (pour「和蘭翻訳」Oranda hon’yaku). Sans date ni nom d’auteur, le titre japonais Kaitai zu『解體圖』, calligraphié en écriture verticale (de style sigillaire 篆書形 tenshokei), occupe le centre. 

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Au bas du frontiscipe, le nom de l’éditeur PLANTIN et la date cèdent la place à l’inscription「天眞楼」Tenshinrô, qui est à la fois le nom de l’école privée 塾 (juku) de Genpaku à Edo, et l’un de ses pseudonymes. Les blasons en bas des piédestaux, ont été simplifiés : Naotake n’a gardé que l’aigle à deux têtes. Il a aussi changé, par pudeur sans doute, la position du bras gauche d’Adam qui désormais cache son sexe avec sa main.

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Selon les tenants de la thèse d’un Genpaku chrétien, le premier caractère「天」« Ten » signifierait Dieu et le second,「眞」« shin », ferait référence au Christ. En avant-propos, Genpaku du Kaitai shinsho aurait noté : « Ce n’est que par la gracieuse volonté du Ciel (le Créateur) que j’ai pu accomplir ce travail jusqu’à présent » [cité par TAKAHASHI Nobuaki 高橋伸明, voir Sources]. On remarquera un détail : c’est Adam qui tend un fruit à Ève (ici, ce serait une figue plutôt qu’une pomme), ce qui semble être en contradiction avec le célèbre épisode de la Bible. Il faut, en fait, y voir une référence au passage de l’Évangile selon Saint Marc qui préconise de rester « éveillé » dans l’attente du retour du Christ : « Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. » (Chapitre 13. 28), et qui s’interprète comme une invitation de l’anatomiste à « rester éveillé », à « s’instruire de l’anatomie » pour une juste connaissance du corps humain. 

S’il est permis de douter du bien-fondé de ces références chrétiennes, il reste néanmoins surprenant, qu’à l’époque de l’interdiction du Christianisme, Naotake (de son propre chef ou sous l’injonction de SUGITA ?) ait pris le parti, voire le risque, de garder une représentation d’Adam et Ève pour illustrer le frontiscipe, tout comme on s’étonnera que son audace ait pu échapper à l’œil vigilant des censeurs.

La grande différence avec le frontiscipe de VALVERDE tient aux armoiries de Philippe II roi d’Espagne qui disparaissent, Naotake n’a gardé de l’original que la couronne royale et le collier de la Toison d’or. 

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Le motif central, qui reste mystérieux, a donné lieu à deux interprétations :

(1)  Selon l’anatomiste et historien OGAWA Teizô 小川鼎三, il représente deux dauphins face à face, encadrant une cloche et surmontant un dragon ; il s’agirait alors des armoiries utilisées par Philippe II quand il n’était que prince héritier.

(2)   Une toute autre lecture est celle qu’en a fait NINOMIYA Takao 二宮隆雄, lui aussi médecin et historien, qui y voit plutôt un « rébus illustré » : « deux poissons et un animal », que les principaux auteurs du Kaitai shinsho, SUGITA Genpaku et MAENO Ryôtaku 前野良沢, auraient laissé à la perspicacité du lecteur. Tous deux fins lettrés, ils auraient empruntés aux classiques chinois les éléments de leur énigme. NINOMIYA en donne l’interprétation suivante :

-       l’animal au bas de l’écu est un tigre blanc (byakko 白虎, en japonais). Il est très similaire à celui trouvé dans un tumulus du village d’Asuka 飛鳥 (préfecture de Nara 奈良県 Nara-ken), le Takamatsu(d)zuka kofun 高松塚古墳 ancien tumulus mortuaire du grand sapin. Le tigre blanc est l’un des quatre animaux totem des orients et du zodiaque chinois, divinité tutélaire associée à l’Ouest. Ici, l’Ouest, l’Occident désigne de toute évidence l’Europe, la Hollande.

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-       les deux poissons sont probablement des carpes, ce qui, pour les familiers de la culture chinoise, revêt un sens particulier. En effet, un poème, tiré du genre yuefu  樂府 (gakufu en japonais), genre poétique chinois apparu sous ladynastie Han  漢朝 [-206 à 220] (Kanchô en japonais), raconte l’histoire d'une femme ayant rêvé de son mari parti pour un long voyage et qui se voit offrir deux carpes par un invité venu d’une lointaine province. Lorsqu’elle les cuisine, elle trouve à l’intérieur une lettre que son mari lui a envoyée de cette si secrète manière. Ainsi, prenant un second sens, les mots sôri  双鯉 (les deux carpes) ou sôgyô  双魚 (les deux poissons) désignent alors une lettre. Une autre explication veut que ce second sens soit né sous la dynastie Tang  唐朝 [618 à 907] (Tôchô en japonais), lorsque, selon une coutume, les lettres étaient pliées en forme de deux carpes. 

-       L’objet central entre les bouches des poissons pourrait être une cloche ou une clochette, de celles que l’on fait tinter pour attirer l’attention lors de la proclamation d’un avertissement, d’une annonce.

Ainsi et toujours selon NINOMIYA, le sens caché de ce rébus serait : le Kaitai shinsho s’apparente à une lettre de l’Ouest, l’annonce délivrée en forme de métaphore d’une communication destinée à informer des nouvelles connaissances en matière d’anatomie [voir Sources, YUMENO Kinji  夢野銀次].

 

Principales Sources consultées :

-       TAKAHASHI Nobuaki 高橋伸明 (neurochirurgien, directeur du 新八街総合病院 New Yachimata General Hospital, auteur à ses heures et lié aux SUGITA par sa femme, issue d’une branche de la 7e génération)

『杉田玄白探訪』SUGITA Genpaku tanbô, 杉田玄白は切支丹だった !? SUGITA Genpaku ha kirishitan datta !? (SUGITA Genpaku était chrétien !?)

https://nobuaki0627.com/kirisitan.html

-       ISOZAKI Yasuhiko 磯崎康彦 (historien de l’art, spécialiste de Akita-ranga 秋田蘭画 (école de peinture de style hollandais, domaine d’Akita 秋田藩 Akita-han)

小田野直武が『解体新書』附図に参照した蘭書 Livres néerlandais auxquels Naotake Odano fait référence dans les illustrations supplémentaires du Kaitai Shinsho, pp. 73~80, 洋楽 3, 八坂書房 Yasaka-shobô, 1995

-       NAKAZAKI Masao 中崎昌雄

『 杉田玄白 「老墓独語」呆け老人の独りごと』 中京大学教養論叢 第27巻 第2号, « SUGITA Genpaku – Bôtetsu dokugo » boke-rôjin no hitori-gotoChûkyô-daigaku kyôyô-ronsô, (Genpaku Sugita "Botetsu-Dokugo" : A Monologue of an Aged SavantChûkyô University bulletin of the Faculty of Liberal Arts, 27 (2), 266-242 (1986-09-20)

KJ00004207484.pdf

-       ABE Kuniko 阿部邦子 (Associate professor, History of Art & Architecture Design, French stage Arts, etc., Akita International University -Kokusai Kyôyô Daigaku-)

小田野直武挿画『解体新書』附図元本調査 ― ワルエルだ『解剖書』

国際教養大学アジア地域研究連携機構研究紀要第11 pp. 43-56 (2020)

Investigation of Image Sources : Odano Naotake’s Illustrations for Kaitai Shinsho and Valuerda’s Anatomie

https://www.jstage.jst.go.jp/article/iasrc/11/0/11_43/_pdf

-       YUMENO Kinji 夢野銀次

銀次のブログ 歴史への誘いー日々の営み Kinji no burogu  Rekishi he no sasoi – hibi no ayumi (Blog de Kinji Invitation à l’histoire – la vie au quotidien)

http://kasiwagura20.cocolog-nifty.com/blog/2019/11/post-04ba0c.html

 

 

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