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Rangaku
12 mai 2018

II. Genshin 玄真: le successeur de Genzui

II. Genshin 玄真: le successeur de Genzui

  Originaire d’Iseyamada 伊勢山田 (localité située aujourd’hui dans la ville d’Ise de l’ancienne province Ise no kuni 伊勢の国, actuellement préfecture de Mie三重), YASUOKA Genshin (Rin) 安岡玄真(璘)était le fils d’un modeste médecin de quartier, YASUOKA Shirôuemon 安岡四郎右衛門, marié à SUGII Ei 杉井ゑい. La famille ne vivait certes pas dans l’opulence, mais, homme d’un niveau d’instruction élevé, Shirôuemon possédait une bibliothèque bien fournie, chose rare chez un simple médecin de province. Animé d’une réelle soif de savoir, Genshin de son côté montrait une grande aptitude à l’étude : à l’âge de 18-19 ans il avait déjà lu tous les livres de médecine de la bibliothèque de son père. Fort d’une solide formation en classiques chinois, il avait aussi rédigé un manuscrit critique du Shanghan Lun『傷寒論』, ouvrage important de la médecine chinoise, qu’il souhaitait soumettre à l’avis d’un spécialiste. Cependant, dans sa province éloignée, il ne se trouvait personne d’assez qualifié pour lire et juger ses commentaires sur ce grand classique de médecine kanpô. Shirôuemon, son père, lui ayant finalement accordé l’autorisation de quitter la maison paternelle, Genshin, 22-23 ans, se mit en route pour Edo où il vint à frapper à la porte de Genzui, impatient de lui soumettre le fruit de ce premier travail de jeunesse. Ce dernier jeta un œil distrait sur le titre du manuscrit et le rendit aussitôt à son propriétaire, lui conseillant de s’adresser à une autre autorité compétente car depuis sa conversion à la médecine occidentale, la médecine chinoise ne l’intéressait plus ; elle n’avait d’ailleurs, selon lui, aucune valeur. Devant la déception et l’incompréhension de Genshin pour qui les mots de médecine occidentale étaient dénués de sens, Genzui entreprit de lui expliquer très sommairement de quoi il en retournait, précisant que : Chaque organe du corps humain a une fonction propre. Si l’on ignore cette fonction, comment alors déterminer la cause de la maladie et prescrire un traitement ?L’histoire raconte que Genshin, fortement perturbé par ce qu’il venait d’entendre, quitta alors la pièce pour y revenir peu après ; il avait réfléchi, déchiré son manuscrit et se disait désormais désireux d’étudier cette médecine occidentale. Il pria instamment Genzui de l’accepter comme disciple. La ferme détermination et la ferveur qui se lisait dans les yeux de ce jeune provincial, sans doute aussi le souvenir de sa propre visite à KATSURAGAWA Hoshû une dizaine d’années auparavant et à peu près au même âge que Genshin, poussèrent Genzui à le prendre comme élève. C’est ainsi que Genshin s’engagea lui aussi sur la voie des études hollandaises. Ses dons linguistiques le firent rapidement progresser en hollandais. Genzui, conscient que ce brillant sujet méritait un maître de plus grand renom, le recommanda à ÔTSUKI Gentaku qui l’accueillit chaleureusement dans son juku 塾, école privée (de médecine), le Shirandô「芝蘭堂」; il l’initia à la syntaxe et à la traduction du hollandais, en lui faisant, par exemple, recopier le Rangen yakugo 『蘭言譯語』, un recueil de vocabulaire. Admis dans l’entourage de Gentaku, Genshin eut l’occasion de fréquenter d’autres éminents rangakusha, tel MINE Shuntai 嶺春泰 entre autres. Genshin travaillait d’arrache-pied, passait des journées entières penché sur les manuels de hollandais sans même prendre le temps de se nourrir. En fait, il vivait dans l’indigence car son père ne pouvait subvenir ni à ses besoins ni payer ses frais d’études. Bientôt, il se verrait forcé de rentrer dans sa province et de mettre un terme à ses chères études, ce à quoi il ne pouvait se résoudre. Ému de la situation critique de Genshin, que sa connaissance du hollandais rendrait bientôt autonome et apte aux travaux de traduction, Gentaku s’adressa alors à son ami KATSURAGAWA Hoshû pour le prier de trouver une place à un élève si méritant. De nature généreuse et heureux de compter sur un sujet prometteur pour le développement des études occidentales, Hoshû ouvrit de bon cœur sa porte à Genshin. Sa situation s’étant nettement améliorée, celui-ci se consacra de plus belle à l’étude, mais un mois plus tard à peine, Hoshû trop accaparé par ses fonctions auprès du shogunat dut interrompre son enseignement. Genshin retourna donc chez Gentaku qui, toujours soucieux de venir en aide à son protégé, se chargea de le présenter à SUGITA Genpaku. Ce dernier occupait une position prédominante dans le monde des rangakusha, il venait d’atteindre l’âge respectable de 62 ans et cherchait un successeur. Il pensait à son fils cadet, SUGITA Ryûkei 杉田立卿, mais avait également chargé Gentaku de lui signaler d’éventuels autres jeunes prétendants de valeur, suceptibles d’assurer sa succession. Aux yeux de Gentaku, Genshin était le candidat idéal. L’avenir semblait tracé pour ce brillant sujet qui intégra le Tenshinrô「天真楼」, l’école privée (de médecine) de SUGITA dont  il épousa peu après la seconde fille, Yaso 八曽. Mais bientôt, la conduite dissipée de ce jeune gendre, due en grande partie à son penchant pour la boisson et sa fréquentation des lieux de plaisirs, entraîna la rupture des liens avec sa belle-famille. L’épisode des relations avec Genshin est relaté en détail par Genpaku dans son livre de souvenirs, le Rangaku kotohajime『蘭学事始』(1815) Génèse des études hollandaises. Les deux hommes ne renoueront qu’une douzaine d’années plus tard quand, la mâturité venue, Genshin se sera assagi. Entre-temps, suite à ses démêlés avec la famille SUGITA, l’une des plus puissantes dans le monde des rangakusha, Genshin connut une douloureuse période d’isolement. À la fois compatissant et intéressé par ses dons exceptionnels de traducteur, INAMURA Sanpaku 稲村三伯, médecin du fief de Tottori (Tottorihan’i 鳥取藩医), qui avait été son condisciple au Shirandô「芝蘭堂」, l’école privée de Gentaku, lui vint en aide en l’associant à la rédaction du dictionnaire hollandais-japonais, le Haruma wage 『波留麻和解』[cf supra]. Cette planche de salut permit à Genshin non seulement de survivre, mais aussi de revenir en grâce parmi ses pairs. Réhabilité et sur l’intervention de son ancien maître ÔTSUKI Gentaku, il fut adopté en 1798 par les UDAGAWA pour succéder à Genzui au poste de médecin du fief de Tsuyama. Il prit alors le nom de UDAGAWA Genshin (Shinsai) 宇田川玄真(榛斎). Il est curieux de noter qu’après bien des déboires, Genshin, jeune provincial inconnu monté à Edo et venu frapper à la porte de Genzui pour lui présenter un manuscrit qui ne l’intéressait pas, finit par lui succéder et assurer la pérennité de la famille UDAGAWA. Ironie du sort, mais aussi clairvoyance du destin car Genshin se montra le digne successeur de Genzui. 

  Genshin se fixa pour première tâche de poursuivre dans la voie tracée par son prédécesseur et de développer la pratique de la médecine interne au Japon. Il commença par une étude approfondie de l’ouvrage de Genzui, pionnier en la matière, le Seisetsu naika sen’yô [cf. supra]. Cette traduction parue en 1793 d’après l’original de GORTER (1744), lequel avait été réédité dans une version corrigée et augmentée en 1773, commençait à dater et avait besoin d’être actualisée. Genshin, aidé de FUJII Hôtei 藤井方亭, en fera paraître une nouvelle version corrigée et augmentée sous le titre de Zôho jûtei (ou chôteinaika sen’yô『増補重訂内科撰要』(1822, 18 volumes). Parallèlement, conscient qu’une simple description des organes, sans une étude de leur structure ni de leur fonction comme cela avait été le cas pour le Kaitai shinsho, ne suffisait pas au traitement des maladies, il se plongea dans l’étude de nombreux ouvrages d’anatomie pour écrire son volumineux Ensei ihan『遠西医範』, abrégé sous le titre de Ihan teikô 『医範提綱』, et qui sera pour les étudiants de l’époque un véritable manuel de médecine occidentale [les ouvrages consultés par Genzui pour le Seisetsu naika sen’yô et par Genshin pour le Ensei ihan sera seront traités ultérieurement]. 

 Une autre contribution importante de Genshin mérite d’être relevée : la création d’un vocabulaire médical jusqu’alors inexistant. Un sens inné de la langue et l’étendue de ses connaissances lexicographiques lui permettaient en effet de forger des termes nouveaux, voire des caractères spécifiquement japonais, et nombre de ses créations sont toujours en usage aujourd’hui. Une comparaison avec le vocabulaire relevé dans le Kaitai shinsho (où les traducteurs optaient pour des ateji quand ils ne saisissaient pas le sens d'un mot) est éloquente. On en trouvera quelques exemples ci-dessous.

スクリーンショット 2018-05-14

Notes

* : l’astérisque accompagne les termes qui sont toujours en usage dans le vocabulaire médical moderne.  

 : 腺 et 膵 (glande et pancréas) sont des kokuji「国字」forgés par Genshin, des caractères dont la graphie n’existait pas en chinois.

2 : 蛮度(バンド), 奇縷(ゲイル), 弁私沙屈(ペンスサック)et 機里爾(キリイル), 苛勢験(ヘイセレン)[respectivement : ligamentchylepéritoineglande et fibre] sont des ateji「宛字」, des composés (retenus par les traducteurs du Kaitai shinsho) dont la lecture correspond à une transcription phonétique des mots hollandais concernés.

  

Un autre exemple de la grande maîtrise de Genshin en matière lexicale se remarque aussi dans la version remaniée du Seisetsu naika sen’yô『西説内科選要』de Genzui, qu’il fit paraître en 1822, titrée Zôho chôtei (ou jûteinaika sen’yô『増補重訂内科撰要』. 

 Genzui transcrit le nom latin (1) ou hollandais (2) des maladies par des ateji accompagnés de rubi (katakana notés en regard qui en indiquent la lecture).

- Ainsi pour (1):

スクリーンショット 2018-05-1

nodokaze:  喉風, lecture différente chez MITSUKURI Genpo 箕作阮甫 [cf. infra]. Pour angina, Genzui note aussi la lecture ankina 安及那(アンキナ).

corruption: terme vieilli pour putréfaction.

- Ou pour (2) :

スクリーンショット 2018-05

(karanpu-sutoipu-teretsukingu)1: noté par erreur karanpu-sutoipu-tetetsukingu, alors que d’habitude Genzui note bien, pour le dernier terme, la lecture correcte.

スクリーンショット 2018-0

Genshin, lui, s’il reprend parfois la notation de Genzui, note le nom latin de la maladie par de simples katakana, comme dans l’exemple ci-dessous pour le scorbut :

スクリーンショット 2018-05-14 6

 

Mais, la plupart du temps, Genshin note les noms latins et hollandais en katakana et il s’efforce de traduire le sens du nom des maladies, ou de l’expliciter par des composés de son choix, comme dans l’exemple ci-dessous pour la mélancolie que Genzui avait noté 黙朗格里亜(メランコリア)[merankoria] :

スクリーンショット 2018-05-14 6

* Pour le nom de cette maladie, Genshin joint une note explicative avec des composés plus explicites : 壊液鬱憂病.

 

 

 

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